À Arles depuis deux mois, Vincent rêvait de voir « la Méditerranée enfin… ». En mai-juin 1888, il se rend aux Saintes Maries de la Mer. Il y séjourne une semaine durant laquelle il peint deux marines, une vue du village et plusieurs dessins de cabanes de gardian.
Sa première marine est un tableau tout bleu, « une mer bleue sous un ciel bleu » avec des voiliers au loin.
Il écrit à son frère :
Sur la plage toute plate, sablonneuse, de petits bateaux verts, rouges, bleus, tellement jolis comme forme et couleur qu’on pensait à des fleurs. Un seul homme les monte, ces barques-là ne vont guère sur la haute mer. Ils fichent le camp lorsqu’il n’y a pas de vent et reviennent à terre s’il en fait un peu trop.
Van Gogh a dû bien apprécier ces barques pour les dessiner avec autant de détails précis. Il a particulièrement bien observé la position du barreur qui est très juste.
Le jour de son retour à Arles, en attendant la diligence, il fait un grand dessin des barques sur la plage qui lui servira le jour suivant à peindre une de ses plus belles et plus célèbres toiles, les « Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries ».
Ces barques utilisées pour la pêche (surtout des maquereaux) ont vivement attiré Vincent Van Gogh qui en a réalisé en tout trois peintures, une aquarelle, sept dessins (et deux croquis dans une lettre). Il en apprécie l’esthétique et l’intelligence de leur conception, leur authenticité.
Pêche à la trahina (document Musée de l’Etang de Thau)
Les barques sont gréées de voiles latines, une voile qui a révolutionné la navigation (la plus ancienne représentation d’un bateau à voile triangulaire se trouve sur un bas-relief de Perpignan de l’époque d’Auguste). Grâce à son antenne très mobile qui s’incline ou pivote autour du mât, elle peut être orientée de tous côtés, ce qui permet une grande souplesse de navigation. En Méditerranée, depuis le sixième siècle, les voiles latines permettent de naviguer contre les vents contraires et de mieux louvoyer.
Les caravelles de Christophe Colomb ou Magellan utilisaient une double voilure, latine et carrée. C’est ce mélange des deux types de voiles qui constituera désormais le gréement classique. Au moment de la grande expansion maritime européenne du seizième siècle, ce type de voile a permis d’utiliser des navires de plus gros tonnages, ce qui a facilité et développé le commerce dans toute la Méditerranée, mais aussi vers le Nouveau Monde.
Ces barques à voiles latines de différentes tailles se retrouvent dans toute la Méditerranée où elles prennent des noms différents : bettes, boutres, tartanes, felouques, pointus, etc. Grâce à la simplicité de leur fabrication, leur faible coût, leur maniabilité, ces barques ont joué un rôle très important dans l’économie, permettant à des milliers de familles de vivre de la pêche.
L’apparition du moteur et du polyester va rapidement entraîner l’arrêt de leur fabrication. Alors qu’il en existait des dizaines de milliers dans toute la Méditerranée, elles avaient presque toutes disparues. Heureusement, dans les années 90, quelques rêveurs de Bouzigues se sont chargés de les faire renaître.
Christian Dorques
M. Rivière, un passionné, a proposé à Christian Dorques de récupérer un vieux bateau (qui servait de poubelle). Avec son ami Vigne, en deux ans, ils nettoient, changent les pièces et réhabilitent le bateau qu’ils vont appeler le Grachus Babeuf, du nom d’un révolutionnaire de 1789, promoteur d’une insurrection pacifique et de la « Conjuration des égaux ».
Une association se crée par la suite pour protéger ce patrimoine régional. L’ Amitié » (en hommage à Van Gogh), puis d’autres barques (appelées nacelles à Bouzigues), vont être restaurées. André Buonomo, fils d’un constructeur, a rendu hommage au savoir-faire de son père en créant de toutes pièces avec ses amis une nouvelle nacelle, appelée le Joseph Buonomo. On doit aussi à Pierre Lebris, Christian Combes, Christian Dorques et aux associations qui depuis ont prospéré autour de l’Etang de Thau, la renaissance des barques chères à Van Gogh.
Le Musée de l’Etang de Thau à Bouzigues renseigne parfaitement sur l’histoire et l’utilisation de ces barques. Leur conception ingénieuse permettait aux pêcheurs de les fabriquer eux-mêmes selon les méthodes ancestrales (la pièce principale, le nœud, est en bois de pin parasol, ainsi que les planches).
Document Musée de l’Etang de Thau
Le Musée, très bien conçu, évoque également les différents types de pêche (jusqu’à 43) et de conchyliculture (qui produit 15% des huîtres et moules dégustées en France) en usage dans le bassin. De belles reconstitutions, nous permettent d’appréhender les durs métiers de la mer sur l’immense étang de Thau.
Vincent Van Gogh participe à sa manière à la préservation de ce patrimoine, en immortalisant ces bateaux… « tellement jolis comme forme et couleur qu’on pensait à des fleurs. »
Grâce aux barques de Bouzigues, nous allons pouvoir réaliser la reconstitution du célèbre tableau qui aura lieu Samedi 6 juillet dans l’après-midi. À cette occasion, un Concours de photographies est organisé.
Des projections (suivies de discussions) de films dont « Vincent Van Gogh aux Saintes Maries » se feront au Cinéma de la ville (29 Avenue Van Gogh, 13460 Saintes-Maries-de-la-Mer) entre 15 et 18h.
Remerciements : Christian Dorques, Association Voile Latine de l’Etang de Thau à Bouzigues, Musée de l’Etang de Thau, Office du Tourisme des Saintes Maries de la Mer, Port Gardian.