Les peintres qui ont peint sur les parois de la grotte Chauvet il y a quelque 35 000 ans n’ont rien à envier aux peintres actuels. Il s’agit d’individus qui possèdent une technique pour l’avoir étudiée et expérimentée. Comme tous les artistes, ils portent un regard particulier sur le monde et choisissent une manière de le représenter.
Ce qu’on appelle art pariétal pose des questions : pourquoi représenter ? À qui s’adresse la représentation ? Aux autres, à des divinités ? Pour d’établir un lien avec un monde surnaturel ? C’est en tous cas l’affirmation d’une présence et le désir que ce qu’on a représenté persiste dans le temps et dise quelque chose sur le monde.
La naissance de l’art est bien plus ancienne que 35 000 ans (même s’il semble que cette époque ait été particulièrement prolifique en peinture). On a retrouvé des motifs géométriques gravés sur des coquillages qui ont près de 500 000 ans. Si on intègre les premières collectes d’objets et les premiers outils lithiques, l’art serait né au Paléolithique inférieur, la première période de la Préhistoire, il y a quelques 3 millions d’années, avec le genre homo, bien avant l’homosapiens ou l’homme de Néanderthal (lui aussi a laissé des œuvres), beaucoup plus jeunes (400 à 300 000 ans).
La plus grande énigme étant cette volonté de réaliser de grandes œuvres au plus profond des grottes, à des endroits où il est impossible de vivre.
Les artistes accompagnés parfois de leurs familles (à Chauvet, il y a des traces de pas d’enfants) s’enfonçaient avec leurs outils et leurs peintures, et bien sûr avec des torches, et de quoi manger et boire, pour peindre pendant des heures. Ils revenaient probablement les jours suivants pour achever leur « travail ». On reconnaît un style particulier d’un artiste (à Chauvet, on en reconnaît un grâce à son petit doigt cassé qui a laissé des traces de peinture). Venaient-ils d’eux même pour peindre ? Sur commande ou ordre d’un prêtre ? Étaient-ils eux-mêmes des chamans ?
Ces individus devaient peindre ailleurs que dans les grottes : sur des peaux, du bois, des rochers et sur eux-mêmes, le tatouage marquant une appartenance à un clan, à un totem, mais en dehors des grottes, presque rien n’est resté.
Chauvet, qui a connu deux occupations importante à trente cinq et vingt-deux mille ans (datation au carbone 14), est une des plus vieilles grottes ornées connues, un chef d’œuvre comportant un millier de peintures et de gravures, dont 447 représentations d’animaux de 14 espèces différentes. Sa découverte a fait reculer de dizaines de milliers d’années (Lascaux où Altamira sont datées d’environ 17 000 et 15000) nos connaissances. Peut-être en trouvera-t-on un jour d’encore plus anciennes ?
Les concrétions (stalactites) issues des écoulements d’eaux qui couvrent les parois ont continué à se déposer recouvrant très probablement d’autres œuvres peintes. Dommage !
En attendant, les artistes de Chauvet ont fait preuve d’une grande maîtrise : parois préparées par raclage, dessin au fusain, utilisation de pigments, jeux de couleurs, ombres, estompe, détourage, perspective, mouvement. On y voit des œuvres figuratives, d’autres abstraites, des croquis, des points faits à la paume, des mains positives ou négatives, des signes, etc., toute la peinture est déjà là.
La fresque des lions est particulièrement foisonnante : tracés au fusain, ils sont dynamiques et expressifs, semblant poursuivre des proies C’est de dessin d’une chasse où peu de traits suffisent à exprimer la course. Les parois sont couvertes de griffures d’ours qui ont été faites avant ou après les dessins.
Toujours en mouvement, les chevaux à l’encolure bien tracée et recouverte de charbon noir, eux aussi sont en mouvement, ils semblent fuir. Devant eux, deux aurochs et dessous, probablement faits à un autre moment, un rhinocéros et un combat de bisons.
Sur une autre paroi, plusieurs cornes noires sont dessinées en perspective, avec, en dessous, plusieurs rhinocéros.
En tous cas, les peintres de Chauvet n’ont rien à envier aux artistes, en tout cas, pas à ceux du Moyen âge, qui ne ne représentaient ni la perspective ni le mouvement. L’art a connu des déclins et des rebonds.
A Chauvet, on est non seulement dans un des hauts lieux de l’art préhistorique, mais de l’Art.