Né en 1953 à Rabat, il est le benjamin de la famille. Sa mère nous apprend qu’il était un enfant calme, plutôt réservé, peu expansif qui aimait et savait s’occuper tout seul. Très actif, déjà sportif, elle se souvient qu’avec sa petite voiture bleue (à pédales) il faisait plusieurs fois le tour du quartier au grand dam des commerçants du passage Karachou qui se plaignaient du bruit qu’il provoquait.
Voyant qu’il était très manuel, ses parents lui ont offert une boîte d’outils de menuisier avec laquelle il a beaucoup joué et qui a probablement grandement contribué sa passion pour le bricolage. Très jeune, il était déjà très ingénieux et adorait réparer ce qui se cassait ou ne marchait plus. Il aimait confectionner toutes sortes de choses : il a fabriqué un pistolet à plomb et inventé un système de gâchette pour que la porte d’entrée s’ouvre sans qu’il ait à sortir de son lit.
Très vite, il est devenu le réparateur en chef de la maison, celui qui résolvait tous les problèmes de serrure, d’horloge, d’électricité, de mécanique, etc. Plus tard, il a constitué une très importante collection d’outils et a toujours résolu les problèmes de la famille chaque fois qu’il y avait des pannes ou des choses à réparer. Jeune garçon, il aimait nager, pêcher, faisait du bateau à voile. A quinze ans, lors d’un voyage avec ses parents en Espagne, il disparait avec son ami Moune. Le lendemain, il téléphone pour annoncer qu’ils étaient en Suède, à Malmö !
A seize ans, Serge est atteint par la maladie de Hodgkin qui nécessitait des soins importants. Un médecin de Rabat, le docteur Paganelli, en avait fait le diagnostic. Le Professeur Demanges l’a recommandé au professeur Jean Bernard à Paris. Avec sa mère, ils se rendent à Paris voir le Professeur Jean Bernard, spécialiste d’hématologie et de cancérologie, qui venait de mettre au point un protocole médical chimiothérapeutique qui a pu sauver Serge.
Sa mère est restée avec lui pendant tout le temps de l’hospitalisation, ce qui les a encore plus rapprochés. Elle s’était installée dans un hôtel proche de l’hôpital et le voyait tous les jours. Heureusement, des membres de la famille Benoualid, les amis David Lasry et la famille Lévy qui habitaient Paris l’ont chaleureusement reçue et soutenue.
De retour à Rabat, Serge était suivi à l’hôpital Avicenne. Encore faible, il marchait difficilement, mais progressivement il s’en est remis, et a été définitivement guéri.
Son frère Gabriel, qui a sept ans de plus, raconte qu’il a commencé à le découvrir quand il a été malade : « face aux examens et aux traitement vraiment éprouvants, il démontré une telle force sans jamais se plaindre ».
A 18 ans, Serge passe à Casablanca son baccalauréat E (il n’y avait pas de filière E à Rabat) et en profite pour visiter ses grands-parents maternels le week-end.
Il s’intéresse à l’informatique et se rend à Paris pour suivre les cours à l’IUT de la Porte de Versailles. Pendant ses études, il prend une chambre dans le 16e arrondissement, puis dans le 12ème, près de Gladys et Jacky.
Avec Gladys, ils ont toujours été proches (Ils étaient les deux plus jeunes de la famille) et sont restés très complices, se confiant l’un à l’autre, se racontant leurs soucis. Comme sa sœur, ils n’aimaient pas les conflits, s’arrangeant pour les aplanir. Serge a toujours habité près de Gladys, il s’est plus tard installé à Clamart dans une petite maison rue Beauséjour.
Serge a toujours été très attentionné avec sa famille, respectueux des traditions familiales, des fêtes juives qu’il aimait passer en famille avec ses proches. Il cherchait toujours des solutions pour les autres, savait deviner ce qui leur serait le plus nécessaire et faisait toujours des cadeaux utiles. Doux et charmant, il était d’agréable compagnie.
Quand Serge est venu faire ses études à Paris, en 1971, Gabriel raconte qu’ils se sont rapprochés et sont même partis en vacances tous les deux en 2 CV (en juillet 1973) « dormant sur les aires d’autoroute et les plages. Nous nous sommes même réveillés une fois dans une plage de nudistes. Serge a toujours eu a mon égard écoute et patience, et mes soucis, genre panne de voiture ou d’appareils ménagers, devenaient les siens jusqu’à ce qu’il puisse les résoudre. Il était très attaché aux liens familiaux, mais très secret.
En 1975, Jean-Yves Dupont, ingénieur à l’entreprise NATEL, spécialiste de services en informatique (paie, comptabilité, facturation) avait une mission urgente : le centre d’Angoulême de l’entreprise devant changer son ordinateur (celui de marque CII allait être remplacé par un ordinateur IBM), il fallait avant le départ de l’ancien ordinateur transposer l’ensemble de ses logiciels vers le nouveau, les deux systèmes n’étant pas compatibles.
Ayant besoin d’un stagiaire, il recrute Serge qui venait de finir ses études à l’IUT. Serge travaille sur ce projet : il développe des outils logiciel et des méthodes pour transposer les logiciels de l’ancien système de façon à les rendre compatibles et exploitables sur le nouveau système. Cette mission accomplie avec succès, Jean-Yves Dupont lui propose de rester dans l’entreprise et de travailler avec lui à la Direction Technique de NATEL.
Avec Serge ils étudient comment les micro-ordinateurs qui arrivaient sur le marché pouvaient impacter leurs offres.
Serge, très intéressé par ce nouveau monde des micro-ordinateurs a eu l’occasion d’entrer chez SORD, un constructeur Japonais de micro-ordinateurs qui créait sa filiale française, comme patron technique de la filiale.
En 1978, NATEL a été rachetée par la société GSI (Générale de Service Informatique) filiales de la CGE (Compagnie Générale d’Electricité).
Quand GSI a décidé d’ajouter à son offre une application de saisie de données et d’affichage de résultats pour traiter la paie des entreprises, Serge, resté ami avec Jean-Yves Dupont, l’a convaincu de choisir plutôt le matériel SORD qu’il maîtrisait parfaitement.
GSI a donc construit une offre pour le traitement de la paye des entreprises. Elle comprenait un micro-ordinateur SORD installé chez les clients dans leur propre service de paye, les traitements mensuels étant ensuite centralisés sur les ordinateurs de GSI.
Avec J-Y Dupont, Serge va travailler sur différents projets : choix de matériels, de logiciels, définition de méthodes de développement, d’applications de gestion, etc.
En 1981, quand est arrivé l’IBM PC, il a pris presque tout le marché des micro-ordinateurs de gestion, devenant un standard ! Il n’y avait alors plus de place pour tous les concurrents incompatibles avec l’IBM PC.
Serge a alors décidé de quitter SORD dont il ne voyait pas l’avenir. Il a travaillé quelques mois pour Trace, l’entreprise de son beau-frère Jacques Amiel.
Sachant qu’il avait quitté SORD, Jean-Yves Dupont lui propose de venir le rejoindre, riche de toute l’expérience nouvelle qu’il avait acquise.
En 1982, ils retravaillent avec plaisir ensemble sur une plateforme de GSI dans l’unité Recherche et Développement qu’ils codirigent.
Serge va alors concevoir et réaliser un système permettant de distribuer automatiquement vers les micro-ordinateurs installés chez les clients les nouvelles versions du logiciel d’application ainsi que les mises à jour et les corrections. Ce système devant être robuste (la paye doit être faite impérativement selon un calendrier imposé) et le plus économique possible (les clients étaient des PME), Serge a dû avec son équipe inventer et mettre en œuvre des protocoles de transmissions de fichiers fiables.
Il travaille sur les problèmes de réseaux, de centres de calcul, et conçoit un nouveau système ingénieux et fiable compatible avec le Minitel pour que leurs applications puissent être utilisées par leurs clients.
Pour une filiale de GSI spécialisée en sondages et enquêtes d’opinion, Serge a dû créer un système permettant d’interroger les spectateurs pendant une émission de télévision… Une première en France !
Serge apprend rapidement à maîtriser les problèmes d’informatique technique de réseaux, les logiciels et techniques des micro-ordinateurs en même temps que ceux des grands systèmes centraux de l’univers IBM. Il avait pour mission de concevoir l’ensemble des outils techniques nécessaires pour construire avant Internet la coopération entre les applications exploitées sur les grands systèmes centraux IBM et les petits systèmes répartis chez les clients.
J-Y Dupont a une confiance illimitée en Serge pour son jugement très sûr, ses conseils, ses avis précieux et ses remarques pertinentes. Travailler avec Serge était un plaisir ! Leur amitié et leur vraie complicité se sont renforcées. Très proches, ils se confient leurs problèmes personnels et se soutiennent mutuellement dans les moments difficiles.
En 1990, J-Y Dupont est nommé en Allemagne, mais ils continueront à se voir, à passer des vacances ensemble, notamment à naviguer, souvent en profitant des ponts du mois de mai.
En 2007, ils louent un bateau en Bretagne pour naviguer dans le Golfe du Morbihan avec ses centaines d’îles et ses courants de marée très forts, et dans la Baie de Quiberon jusqu’aux îles de Houat Hoedic et Belle-Île.
J-Y Dupont raconte une sympathique anecdote : « Serge aimait bien la navigation à voile, mais sa passion était la pêche (nous avions eu un projet d’aller pêcher le saumon en Irlande). Il s’était monté plusieurs lignes pour pêcher à la traîne pendant que nous longions les bancs rocheux et les chenaux où le poisson était supposé se tenir affamé ! Serge tenait ainsi pendant des heures ses lignes équipées de cuillères appâts. Il pensait pêcher des maquereaux ou des lieux jaunes, des prises courantes et banales, mais il attrape un magnifique bar qui n’arrêtait pas de sauter quand il l’a remonté à bord ! J’étais très étonné car pêcher ce poisson pour gourmet, très recherché, était très rare et difficile ! Très fier de sa prise, il a décidé de la préparer le soir même en le grillant au four. J’avais à la maison un four électrique que nous n’utilisions pas très souvent. Serge, fin cuisinier, prépare son bar et le met dans le four… Mais malheur, par une erreur de manip, le four se trouve verrouillé en mode pyrolyse ! Pendant un instant, comme Perrette et son Pot au lait, (« adieu veau, vache, cochon, couvée »), nous avons vu notre bar si convoité sur le point de partir en fumée dans un four électrique verrouillé et fermé en mode pyrolyse… Heureusement Serge a sauvé la situation in extremis en pensant à se précipiter sur le disjoncteur électrique général de la maison ! »
Après le départ du président de GSI en 1995, un homme remarquable, l’entreprise et ses valeurs se sont modifiées. Intégrée dans une grande entreprise américaine, elle s’est transformée peu à peu. Chez ADP, les personnes valorisées étaient plutôt les commerciaux et les managers, les experts beaucoup moins, de façon tout à fait classique.
Serge a ensuite travaillé dans les équipes du centre Européen de Suresnes où étaient concentrés les gros serveurs IBM et le pilotage du réseau. Il faisait partie des rares ingénieurs qui, tout en maîtrisant le nouveau monde, étaient encore des experts indispensables de l’ancien monde, mais son rôle n’était ni valorisé ni reconnu tant que tout fonctionnait sans problèmes, sauf qu’à l’occasion d’un très gros incident d’exploitation (un début d’incendie d’un système qui a provoqué la perte de données), chacun a réalisé la compétence de Serge, sa maîtrise pour trouver des solutions et résoudre les problèmes.
Les dernières années de Serge dans l’entreprise ont été moins exaltantes, mais il aura participé pleinement à la révolution numérique.C’est fin janvier 1985, lors d’un voyage au Sri Lanka au Club Méditerranée, que Serge a rencontré Pascale. Elle a 25 ans, fait son internat à Paris.
Ils sympathisent, jouent au billard. Lors d’une visite de boutique, quand elle a voulu acheter une bague avec un saphir, Serge lui a déconseillé en lui montrant que le saphir était mal monté – Serge s’y connaissait, ayant travaillé quelques mois dans la bijouterie d’un cousin.
Pascale se souvient qu’aux Maldives, ils ont « nagé main dans la main au dessus d’une raie manta qui avait mon envergure et il m’a intimé l’ordre de ne pas bouger pour ne pas l’effrayer ».
Ils n’étaient pas sur la même île. Pascale en avait choisi une autre pour faire de la plongée. Quand ils se retrouvent, une intimité s’installe.
Le soir de la Saint Valentin, il arrive et lui offre une rose. Puis le hasard s’en mêle… L’avion de retour du club étant en surbooking, le responsable propose à deux personnes de rester trois jours de plus gratuitement. Tous les deux acceptent. C’est le coup de foudre. Ils passent trois jours fabuleux, et rentrent à Paris ensemble.
Ils ne se quittent plus et se retrouvent le soir chez lui dans sa petite maison de Clamart.
Pascale est née en Algérie qu’elle ne connaît pas, l’ayant quitté à l’âge de deux ans. Elle est fille unique d’un père d’origine maltaise et d’une mère italienne, aussi ils se sentaient culturellement assez proches.
Lors d’un dîner au restaurant, Serge lui présente son frère Gabriel et sa femme Eva et en février 1986, l’invite à une fête chez Gladys et Jacky. Pascale pensait se retrouver dans une petite réunion de famille avec quelques intimes. Elle ne s’attendait pas à une fête avec 80 personnes !!
La famille de Serge est très grande et chaleureuse. Sa mère Suzanne a dix frères et sœurs qui eux-mêmes ont eu beaucoup d’enfants.
Un peu mal à l’aise de se retrouver avec autant de monde, Serge la présente à cette immense famille juive marocaine. À cette occasion, elle entre en relation avec le grand-père Messod Amiel, le patriarche de la famille, qui l’adoubera en disant à Serge qu’elle est une fille bien.
Pascale s’installe chez Serge et vont vivre trois ans ensemble avant de se marier.
Ils passent des vacances en Corse puis au Maroc chez sa sœur Sylvia où elle rencontre les parents de Serge qui habitaient encore à Rabat.
À Clamart, ils voient souvent Jacky et Gladys. Pascale se sent surtout très proche d’Eve, une petite fille mignonne et adorable.
Ils décident de se marier pour fonder une famille. Le mariage prévu va être retardé par le décès du grand-père. Ils recherchent une maison à Paris où Clamart. Un jour, Serge l’appelle à l’Hôpital pour lui dire qu’il a visité une maison qui lui plait et qu’il faut signer très vite. Un peu désarçonnée, elle doit accepter avant de l’avoir vue.
La maison est en mauvais état, n’étant pas habitée depuis longtemps, mais Pascale l’appréciera. Ils vont mettre du temps à la retaper avec des copains de fac de Pascale.
En attendant, ils habitent un mois ou deux chez Gladys et Jacky.
Leur mariage a lieu à la Mairie de Clamart et sera suivi d’un goûter chez eux pour lequel Pascale a préparé des gâteaux. Quelques semaines plus tard, dans une fête organisée chez Madeleine, la tante de Serge, on lui fera porter la somptueuse robe longue à galons d’or appelée al-keswa la-kbira, qu’on porte pour le hénné, la cérémonie traditionnelle et ancestrale des mariages juifs marocains.
Pascale finit ses études de dermatologie, une discipline qui lui a plu depuis le début de ses études de médecine. Elle deviendra chef de clinique à Necker.
À la fin de l’internat, naît Cyril, leur premier enfant, en octobre 1989.
Cyril a une enfance un peu difficile. Heureusement, ils sont aidés par une nounou, voisine de Gladys et par le père de Pascale qui s’est beaucoup occupé de son petit-flls les après-midi. Il venait de prendre sa retraite (après avoir vendu son magasin de matériel de bureau). La mère de Pascale avait une boutique de prêt à porter.
Un peu plus de quatre ans plus tard, c’est Nicolas qui naît.
Serge a toujours été proche de ses enfants, attentif et respectueux de leurs désirs. Cyril a pu faire de la boxe thaïe et du kick boxing et son père a été ravi de voir le champion du monde qu’il est devenu.
Cyril a toujours vu son père bricoler, construire des choses. Très jeune, il l’aidait dans ses jeux de construction : « c’était le roi des legos, un perfectionniste qui nous obligeait à toujours faire mieux, mon frère et moi. Il n’a pas arrêté d’arranger la maison, de l’agrandir, de l’embellir. Un peu acrobate, il n’avait pas peur de monter sur le toit pour le réparer. Quand on partait marcher ou courir en forêt, il trouvait toujours quelque chose et le ramassait pour une utilité future.
Au Club Méditerranée, le soir d’une petite régate, je devais avoir 8-10 ans, j’ai entendu au micro que mon père avait gagné. Super content et très fier, j’ai couru au cabanon pour lui annoncer…
Plus tard, vers l’âge de 16 ans, je n’avais pas encore fait de combat, mais j’étais très motivé pour faire de la boxe mon métier. Je rêvais de devenir champion mais j’avais dû mal à l’exprimer. Un jour, tous les deux allongés sur un lit, j’ai pu enfin me confier, lui parler de ce que j’avais envie de faire. Il m’a écouté patiemment sans poser de questions et a semblé acquiescer, ce qui m’a donné confiance.
Libéré, j’ai pu m’y consacrer pleinement. On est allé voir ensemble avec mon frère et mon oncle Jacky le combat au Zénith de mon premier entraîneur, un ancien champion qui m’a donné des valeurs que je défends toujours.
Mon père m’amenait aux compétitions, pas au début, je ne voulais pas, mais très rapidement, il a toujours été là pour me soutenir et m’a même accompagné une fois avec mes entraîneurs. Au fur et à mesure de mes progrès et des matchs gagnés, j’ai senti sa fierté. Même s’il restait inquiet pour mon avenir professionnel, il m’a aidé à poursuivre mes études (il m’avait donné le goût des maths) en même temps que mon sport. Le soir de mon premier combat, il était là, étonné et heureux d’entendre son nom scandé par la foule.
Après sa retraite, on se voyait plus souvent, il avait une énorme énergie, faisait tous les jours de la marche, du vélo, de la moto qu’il adorait…, j’étais content de le voir faire plus d’activités avec ma mère. »
Son frère Nicolas, lui, préférait rester à la maison, aussi il passait beaucoup de temps avec son père qu’il suivait dans toutes ses activités. Il se souvient que lorsqu’il était plus jeune : « vers l’âge de dix ans, en vacances avec mes parents, mon père m’apprenait à faire du cerf-volant sur l’immense plage d’Agadir. Mes mains qui tenaient les manettes du cerf-volant étaient enveloppées par les mains de mon père. J’éprouvais alors un sentiment de protection qui me rassurait et me permettait petit à petit de faire voler le cerf-volant tout seul, observé par mon père, fier de voir son fils arriver à maîtriser le cerf-volant.
Mon père voyait son fils voler de ses propres ailes »…
« Plus tard, comme j’étais passionné de musique, aidé par mon père, on a monté un studio dans une pièce de la maison, une chambre acoustique au son le plus parfait possible, un studio où je passais beaucoup de temps. Il m’avait même prêté sa vieille platine vinyles qu’il avait gardée je ne sais où ».
Comme toute la famille et les amis, Nicolas était admiratif des talents de son père pour le bricolage : « Mon père était un bricoleur créatif. Opiniâtre, il voulait tout comprendre, rien ne lui paraissait insurmontable, il arrivait à résoudre toutes sortes de problèmes en imaginant des solutions originales, le temps importait peu. J’aimais le voir, crayon à la main, élaborer et dessiner en 3D des objets pour les créer ou les améliorer. Quand je me suis intéressé à la photo, mon discret de père a sorti d’un placard sa superbe série d’appareils photos argentiques que je ne connaissais pas. En 2011, à l’arrière du garage, on a créé une salle de sport avec revêtements sol et appareils… quasi professionnelle. À sa retraite, il s’était mis aux exercices de pilates, grâce auxquels il se tenait beaucoup plus droit. Quand j’ai eu une période où l’alimentation avait pris une grande place, mon père a tenu compte de mes choix culinaires, il cuisinait d’ailleurs très bien, j’aimais beaucoup ses salades marocaines ».
Toujours bricoleur et ingénieux, Serge n’a pas arrêté d’embellir sa maison qu’il agrandit d’une grande verrière ouverte sur le jardin.
Avec les enfants, Pascale et Serge ont fait de nombreux beaux voyages en Grèce dans les Cyclades et le Péloponnèse, des vacances au Club Méditerranée, visité New-York, Miami, Fort Lauderdale où une cousine de Jacky tenait un hôtel sur la plage.
Très sportif, il faisait du vélo, de la moto, de la voile, du kite surf, et aimait partir plusieurs jours sur des voiliers avec ses fidèles amis comme Dupont.
Les 50 ans de Serge vont être fêtés en un anniversaire surprise, resté un beau souvenir. Pascale raconte : « Quand on partait de chez nous pour aller au lieu où se passait la fête (le prétexte était qu’un labo avait invité les dermatos et leurs épouses), j’aperçois dans le rétroviseur de la voiture la Jaguar blanche décapotable et ancienne d’un ami qui n’est pas dermatologue. Je prétends avoir oublié quelque chose à la maison et demande à Serge de tourner à droite pour faire demi-tour sans passer devant les copains. Lorsqu’on arrive devant la porte de la salle où tout le monde était caché dans le noir, le maître d’hôtel me dit : « Bonjour Madame Benzaquen, comment allez vous ? », Serge, étonné, me regarde et me dit : « tu es connue ici…». Je lui réponds qu’on y a souvent fait des réunions de labo. J’ai vu dans son regard un doute, mais quand il ouvre la porte et que la lumière s’allume, il saute de joie en voyant tous les amis qui étaient là. »
Pour sa mère, Serge a été « la lumière de ses jours », le « benjamin de sa famille, mais le plus fort ». A sa retraite, tous les jours, à quatre heures, il venait prendre le thé avec sa mère qui préparait des galettes pour lui. Il s’occupait de tous les appareils et travaux qu’il y avait à faire sans compter son temps.
Après son décès, tout est tombé en panne…
Il y a deux ans et demi, avec sa sœur Sylvia, ils ont fait un petit voyage à Salamanque. Serge voulait visiter les lieux de production de son jambon préféré, le jamón ibérico, appelé en France pata negra, une salaison de jambon sec obtenu à partir de porcs de couleur foncée se nourrissant de glands. Un savoureux jambon qui tient un rôle important dans la gastronomie du pays. Sylvia nous apprend que Serge a demandé au charcutier de rester pendant qu’il découpait le jambon. Il voulait des tranches très fines et, perfectionniste et curieux comme toujours, il aimait comprendre leur technique de coupe.
Ils passent cinq nuits au grand Hôtel Corona, visitent la Plaza Mayor où Sylvia découvre une machine à gaufrettes qui lui a rappelé celle de son enfance qui était près du grand jardin Triangle de vue de Rabat. Ils visitent la vieille et la nouvelle église, l’université remplie d’étudiants asiatiques et la Casa de Concha, un magnifique palais gothique à la façade de coquillages du XVe siècle.
Entre la visite de Valladolid et de Ségovie, celle de charmants petits villages autour de Salamanque et les bons petits restaurants locaux, ils ont passé des jours heureux et détendus.
Serge avait organisé tout le voyage, les ballades et les visites des charcutiers spécialisés. Sylvia a été très heureuse de retrouver et de passer du bon temps avec son petit frère.
En juillet 2018, Serge propose à son frère Gabriel de les rejoindre avec Pascale en Grèce où ils avaient loué une maison et une voiture. Gabriel raconte : « C’était la seule fois, hélas, où avec Eva, mon épouse, nous avons passé quinze jours de rêve tous ensemble. Nous étions déjà partis dans des clubs ensemble avec les enfants encore en bas âge, mais c’était différent. Comme souvent, c’est après sa disparition que l’on ressent la valeur de l’être cher et la douleur de son absence. »
En octobre 2018, les trente ans de mariage de Pascale et Serge sont fêtés dans le Sud Marocain, malheureusement un peu gâchés par une tempête à Dakhla.
Quelques semaines plus tard, à la mi-novembre, Serge souffrant de douleurs à la poitrine, consulte un radiologue qui diagnostique une péricardite. Il arrête le traitement mi-décembre et sera opéré en janvier 2019.
Un grave cancer de la plèvre (mesothéliome) qui l’a emporté est lié à l’amiante avec laquelle il a souvent été mis en contact dans les différents locaux où il a travaillé. Un dossier est en cours d’instruction pour que sa maladie soit reconnue comme maladie professionnelle.
Les quinze derniers jours, Sylvia est resté avec lui pour lui tenir compagnie, lui donner à boire (il ne pouvait plus manger), et l’aider à se déplacer. Bien que très faible et tenant difficilement debout, il a voulu descendre à la cave pour revoir son atelier… qu’il a regardé avec tristesse. Serge parlait peu. Il ne le disait pas mais très probablement savait que ses jours étaient comptés. Il a été courageux, sobre, acceptant son sort.
À son enterrement, le cimetière était noir de monde. Une foule étonnante d’amis et sa grande famille sont venus l’accompagner au cimetière de Clamart où il est inhumé près de sa nièce Eve qu’il aimait tant et de son beau-frère Jacky, voisin et ami, décédé quelques mois plus tard.
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Discours de Pascale lors de la cérémonie d’inhumation.
Serge chéri,
Mon amour,
Ton sourire, ta douceur, ta tendresse m’ont permis de vivre de très beaux moments. Ton humour pince sans rire parfois déstabilisant, tes doigts de fée, ton esprit inventif à la Mike Giver nous manque déjà.
Nous avons eu le bonheur d’avoir deux enfants qui étaient ta fierté, nous avons partagé tant de moments d’insouciance et de bonheur….
Tu as essayé en vain de m’initier à la compréhension du vent et du maniement d’un voilier ; je n’étais pas bon élève.
Nous aimions réunir et recevoir nos amis, organiser des fêtes et des réceptions même si parfois nous nous disputions.
J’ai encore en mémoire l’organisation de la victoire de Cyril pour son championnat de boxe, que de bonheurs, de fous rires et d’engueulades : c’était la vie.
Tes yeux taquins éclairaient ton visage, tu avais toujours une solution quand quelque chose ne fonctionnait pas ou pouvait encore être améliorée.
On avait encore beaucoup de projets et de choses à découvrir ensemble.
La maladie t’a touchée pour la nième fois, j’ai cru qu’une fois encore tu vaincrais et que la force de notre amour et de notre famille nous aideraient à passer cette étape et que nous en sortirions grandi.
J’étais confiante, peut être trop optimiste mais tu as perdu tes forces et n’a pas pu te battre
Tu nous manques beaucoup
Je t’aime
Pascale
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Cyril
« Papa ou plutôt Mr Bricoleur,
Qui n’a pas un jour demandé de l’aide à mon père ?
Quand il n’y avait pas de problèmes à résoudre, tu les cherchais, les trouvais et les résolvais toujours avec succès.
J’ai mis longtemps à comprendre que tous ces conseils, cette aide que tu voulais nous transmettre n’était autre que de l’amour.
Quel océan d’amour tu as pu répandre et tu continueras à nous envoyer…
Et puis il y avait aussi les conseils que l’on avait pas envie d’entendre, comme toutes ces fois où tu as essayé de me convaincre de raser ma barbe ou encore de boire le lait chaud plutôt que froid …
En parlant de conseils, je dois aussi et surtout vous parler de tous ces dîners de famille, ceux où mon frère et mon père ne s’entendaient pas sur un détail et pouvaient rester là à monter le ton pendant de longues minutes.
Ces moments-là aussi j’ai appris à les apprécier, une vraie performance à tous les deux pendant que ma mère haussait les yeux. Je suis sûr que ce genre de scène aurait eu un succès fou au cinéma.
J’aurais aimé que tu saches à quel point je t’admire, aussi bien en tant qu’homme de valeur que tu es que bon père tu as été.
Ton départ beaucoup trop rapide ne m’a pas permis de te dire tout ce que j’ai sur le cœur.
Tu es et resteras mon CHAMPION, je t’aime.
Au revoir. »
Cyril
***
Nicolas
Papa, tu sais combien je t’admirais et combien j’étais fier de toi.
Tu n’as pas idée de la joie que j’avais lorsque l’on me disait que j’étais bien le fils de mon père. Avec toi, j’ai partagé toute ma vie. Tu m’as transmis ton savoir, ta générosité, et toutes tes valeurs qui font de moi un homme aujourd’hui.
Tu as été le père parfait, toujours attentionné, bienveillant et à prendre soin de toute ta famille.
C’est un grand vide qui s’installe aujourd’hui, mais je sais que tu resteras toujours là, à veiller sur nous avec ton sourire.
Papa je t’aime, Papa au revoir.
Nicolas
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Jacques (Coco)
A propos de Serge
Le monde intérieur de Serge était protégé à la façon de la lettre volée ; il était là au vu de tous et tellement intriqué à sa vie quotidienne qu’on pouvait passer cent fois auprès de lui sans le percevoir. J’en ai eu l’intuition sans l’approfondir.
Un jour, il avait une douzaine d’années, il se tenait avec mon frère Elie, tous deux graves et concentrés devant le capot ouvert d’une voiture. Ils méditaient, jeunes philosophes, sur la perfection de cette forme et ils en interrogeaient les composantes avec la même rigueur qu’un penseur interroge une proposition.
À l’époque dans mes 17 ans, j’enregistrais et continuais mon chemin…
Longtemps après, bien longtemps, très peu avant de nous quitter, il venait de recevoir les derniers résultats, ceux auxquels aucun ne succéderait, et le hasard a fait que j’étais là.
Il gardait ses résultats pour lui, ne voulant pas encore les partager avec sa mère ou sa belle-mère, plus pour les protéger que pour les exclure, une élégance qui lui était naturelle.
Il m’a proposé de faire quelques pas et là, dans le jardin, en parlant de banalités, de menthe fraiche et d’outils que nul ne saurait utiliser, il m’a dit adieu, presque en souriant, presque nonchalamment.
Peu après Gladys est arrivée, elle ne savait pas. Alors qu’elle se penchait pour l’embrasser avec cette tendresse particulière qui les unissait, il lui a dit à voix très basse et ils se sont regardés. Des larmes ont brillées sur ses joues et sans un sanglot, sans un mot, leurs mains se sont serrées.
J’ai retenu mes larmes pour préserver ce secret qui n’en était un que pour l’heure du départ ».
Ton cousin Jacques
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Patrick
J’ai toujours eu beaucoup d‘admiration pour Serge, d‘abord car il était mon oncle à moto, plus jeune que mes parents, qui m’emmenait derrière lui à toute berzingue.
Serge a toujours habité près de chez mes parents. Quand j’étais jeune (moins de 12 ans), j’aimais aller le voir et j’en ai gardé de nombreux et beaux souvenirs : la fabrication de confiture d’orange artisanale, l’aménagement du grenier de sa première maison entièrement en lambris (donc beaucoup de menuiserie) ou bien encore la découverte de l’informatique (de l’assembleur Z80) sur une sorte de grosse calculette…
Plus tard, des bricolages qu’il m’a permis de faire avec toute son ingéniosité et son outillage précieux (en particulier une planche de kitesurf pliable alors que j’étais venu le voir uniquement avec un plan en tête).
Je pense que nous nous comprenions bien car nous étions tous les deux très « techniques » et que nous avions également la passion de la voile en commun.
Il était toujours partant pour discuter avec moi d’un problème et surtout de sa solution lors des réunions de famille. Souvent lui ou moi exposions un sujet technique pour en discuter. C’était surtout un oncle très généreux à la fois en temps et en cadeaux innombrables.
La dégradation de sa santé et son décès sont survenues très vite. Quelques mois avant, il m’avait proposé d’aller faire du kitesurf au Maroc avec lui en mars. Il me manque beaucoup.
Patrick
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Elie
Voici quelques anecdotes qui parmi tant d’autres témoignent de l’imagination fertile et du goût de l’aventure de Serge.
Il entraîne quelquefois son cousin Elie dans ses courses échevelées sur les toits des maisons. Avec une planche et des roulements à bille récupérés dans un garage à camions, il fabrique un véhicule tout terrain avec lequel ils s’amusent à dévaler les escaliers de leur immeuble. Par chance, le vacarme des chocs contre les murs et des éclats de rire ameutent les adultes alors que les contusions sont encore bénignes.
Plus tard, son cousin ayant déménagé avec ses parents dans une villa de fonction, ils découvrent dans la cave un trésor : pipettes, alambic, métaux en poudres, acides, mercure… C’est l’occasion d’expériences audacieuses et de feux d’artifice maison. Cherchant le secret des pétards, ils se mettent à récolter le salpêtre sur les murs de la cave et à piler le charbon du chauffage central, réussissant de belles explosions de rire.
Pour déloger les essaims de guêpes qui s’installent dans la villa, avec les moyens du bord, il fixe une boule de coton au bout de la canne à pêche de son oncle, l’imbibe d’alcool et met le feu sous la ruche. La plupart des guêpes tombent, élytres brûlées, peu de survivantes dénichent les assaillants qui s’en tirent avec une ou deux piqures effacées par les rires de victoire.
Son père lui ayant offert un beau canot gonflable, ils s’aventurent en « haute mer », où ils découvrent dans la houle que pour combattre le mal de mer, il faut ramer avec conviction.
C’est une infime partie du Serge adroit, sage, prévenant et drôle, qui est parti avec un courage inouï, et qui nous manque aujourd’hui.
Elie